Des clonœuvres pour demain

Les clonœuvres des Capsules de Vincent Cespedes sont duplicables à l’infini, sous la forme de magnifiques tableaux en plexi. Dans cette nouvelle collection, l’artiste philosophe veut rendre accessible son travail à tout public, actuel comme futur.

Avec son invention du « clonart » fin 2022 et le recours à Opusfocus, un logiciel spécialement conçu pour lui sous sa supervision, Vincent Cespedes veut démultiplier les versions d’une même « clonœuvre ». Cela donne ses deux plus récentes collections de tableaux plexi :

• les Clonades, un million d’exemplaires uniques d’un même « mutalgorithme » (algorithme générateur d’œuvres picturales mutantes) ;

• et les Capsules, 9 versions duplicables à l’envi en 9 formats d’un même mutalgorithme.

Chaque Capsule est vouée à un projet d’art total infini – peinture, vidéo, musique, poésie, philosophie, etc. –, que Vincent Cespedes nomme le « logocosme » de la Capsule. Ainsi, le logocosme de la première Capsule, « Midas » (janvier 2023), en plus des neuf clonœuvres qui le constitue d’emblée en lui donnant vie, s’élargit d’une vidéo d’art de Vincent Cespedes fondée sur « Midas 7 », sa septième clonœuvre. Tout ce qui par la suite donne lieu à un prolongement de la Capsule, sous quelque forme que ce soit (créations, fictions, textes, compositions, concerts, conférences, etc.) et quel qu’en soit l’auteur, appartient et étend le logocosme de ladite Capsule.

Le but de ces Capsules vivantes est de transmettre des messages, des sentiments ou des témoignages aux générations futures, aussi, lors de leur venue au monde, l’attention est-elle portée sur leur valeurs de sens autant que leurs valeurs émotionnelles, et la projection d’un peuple de spectateurs susceptibles d’appréhender et d’apprécier ces clonœuvres, d’en être émus, éclairés, inspirés. Comment créer des œuvres d'art qui auraient une signification profonde et pourraient être appréciées par les générations futures ? Comment créer à partir de la perspective et des préoccupations de ce que l’artiste et philosophe pense que sera l’avenir ?

L’auteur a écrit en 2021 un livre de « philosofiction » aux Éditions Plon : Le Monde est flou. L’avenir des intelligence. Il imagine un temps futur où l’informatique serait la discipline reine et où une intelligence artificielle ultra-sophistiquée philosopherait avec sa conceptrice. Salué par la critique et anticipant les prouesses de « Chat GPT » d’Open AI, Vincent Cespedes assigne à l’émotion un rôle éminent dans la signature proprement humaine de la rationalité cybermoderne. Dans cet ouvrage, le futur revenait sur le passé (notre présent de lecteurs) dans un mouvement de « rétroprospective » critique – et visionnaire. Dans le projet d’art total « Capsules », au contraire, c’est le présent – donc le passé – qui anticipe les comportements et les rationalités du futur pour optimiser la rencontre de l’œuvre et de ceux qui la (re)découvriront.

Ce que Cespedes conceptualise sous le terme d’« avenirisme » trouve ici une application plastique, textuelle et philosophique ; les neuf clonœuvres natives d’une Capsule sont conçues pour former une graine capable de féconder les « logobiotes » de l’avenir – les matrices vivantes de sens, de symboles et de souvenirs. L’artiste doit alors inventer-anticiper les changements culturels, technologiques et historiques qui, potentiellement, auront lieu, ce qui constitue le centre névralgique de l’acte créatif des Capsules. Cespedes s’adonne à un art « anticipatoire », prolongeant la démarche de philosofiction de son livre sur le terrain esthético-philosophique. En créant des œuvres d'art durables et reproductibles à l’infini pour résister au temps, l’artiste médite et travaille sur qui sera important (sensé, désirable, utile, etc.) pour l'humanité à venir.

L'artiste étatsunien John Baldessari a créé une série d'œuvres intitulée The End: A Collection of Possibilities qui consistait en une série de panneaux d'affichage sur lesquels il avait écrit des phrases comme "The End is Near" ou "The World is Flat". Ces œuvres avaient pour but de susciter la réflexion sur les événements mondiaux et les préoccupations du moment, et de les transmettre aux générations futures. D'autres artistes, comme Michael Landy, ont également travaillé sur des projets qui visent à préserver des objets ou des documents pour les générations futures. Dans son projet Art Bin, il a collecté et détruit tous ses biens personnels, puis a présenté le résultat dans une installation artistique qui mettait en lumière les valeurs et les préoccupations de l'artiste. En ce qui concerne la démarche de Vincent Cespedes, elle se distingue par un travail philosophique et artistique de prospectives plurielles, au carrefour des « fabriques de sens » (théorie, politique, science, technologie, économie, culture, fictions, etc.), et par sa conception d’algorithmes de génération d'art créant des clonœuvres reproduitibles à l’identique et à l’infini, pour passer la barrière de l’oubli et de l’usure avec la complicité d’une multitudes d’acquéreurs : les « capsuleurs » – non plus specateurs passifs voués à la possession-contemplation, mais « specacteurs » de la Capsule lancée vers un avenir incertain et encore insensé.